L’écrivain et philosophe Robert Redeker réagit à la condamnation à cinq ans de prison de Boualem Sansal en Algérie. Dans cet entretien exclusif avec Radio 2 L’Hers, il décrypte les enjeux politiques de cette arrestation, critique la faiblesse de la réaction française et dénonce un silence troublant de la gauche intellectuelle.
Radio 2 L’Hers : Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme en Algérie. Quelle a été votre réaction en apprenant son arrestation et cette sentence ?
Robert Redeker : Quand j’ai appris son arrestation, j’ai d’abord pensé à un simple contrôle d’identité. Je ne voulais pas croire qu’il serait maintenu en détention. Mais très vite, j’ai compris qu’il était devenu une monnaie d’échange entre les généraux qui dirigent l’Algérie et le gouvernement français. Il est en quelque sorte un otage politique.Le contentieux entre l’Algérie et la France est profond. Le gouvernement algérien fonde une partie de sa légitimité sur l’accusation permanente de la France et du colonialisme, perçu comme un ennemi quasi ontologique. Boualem Sansal, avec sa liberté de ton, est devenu un symbole et une cible.
Radio 2 L’Hers : Vous pensez qu’il ne purgera pas ces cinq années de prison ?
Robert Redeker : Non, je ne crois pas qu’il y restera cinq ans. Je pense qu’il sera gracié, mais en échange de quoi ? Cela, seuls les historiens du futur le sauront. Ce qui est certain, c’est qu’il ne faudra pas voir cette éventuelle libération comme un acte de magnanimité du pouvoir algérien. Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé. Le procès de Boualem Sansal ressemble étrangement à ceux des opposants sous les régimes staliniens.
Radio 2 L’Hers : Vous décrivez un homme d’une douceur extrême, très courtois. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec lui ?
Robert Redeker : J’ai fait sa connaissance lors d’un colloque sur Descartes à Vienne en 2011. Nous logions dans le même hôtel, nos chambres étaient voisines. Chaque matin, nous prenions le petit-déjeuner ensemble. Ce qui m’a frappé, c’est son élégance intellectuelle et humaine, sa parole mesurée, sa douceur.
Il est à la fois inflexible sur ses idées et d’une bienveillance rare dans ses relations. C’est ce contraste qui surprend. Il incarne une liberté de pensée qui, aujourd’hui, lui vaut cette persécution.
Radio 2 L’Hers : Vous avez également écrit dans Le Figaro que la gauche française manifeste peu de soutien à Boualem Sansal. Pourquoi, selon vous ?
Robert Redeker : Parce qu’il ne correspond pas au profil de victime que la gauche soutient habituellement. Il est perçu comme un « intellectuel à contre-courant », proche d’Israël, critique vis-à-vis de l’islamisme. Plus on glisse vers l’extrême gauche, plus il est même considéré comme un « ennemi ». Certains l’accusent d’être « facho », islamophobe… C’est absurde.
Le paradoxe, c’est que la gauche affirme défendre la liberté d’expression, mais elle semble ne l’appliquer qu’à ceux qui partagent ses idées. On est bien loin du « Je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ».
Radio 2 L’Hers : Certains reprochent aussi au gouvernement français son manque de fermeté face à l’Algérie. L’intellectuelle franco-algérienne Fatiha Boudjahlat
déclarait ce matin sur Europe1 : « Emmanuel Macron gonfle les muscles face à Poutine, mais se couche face à Tebboun. » Partagez-vous cet avis ?
Robert Redeker : Il est clair que la France, septième puissance économique mondiale, première armée d’Europe, pourrait se montrer plus ferme. Mais elle ne le fait pas. Pourquoi ? Personne ne le sait vraiment. Cela me rappelle Marc Bloch et son analyse de la défaite de 1940 : Une étrange défaite. Ici, nous assistons à une étrange faiblesse.
Radio 2 L’Hers : Pour Boualem Sansal est un livre collectif de 60 personnalités publié aux éditions David Reinharc qui vient de paraitre aux éditions à paraître. Que pouvez-vous nous en dire ?
Robert Redeker : C’est un acte de résistance intellectuelle. La liste des contributeurs est éloquente, même si l’on peut regretter l’absence de certaines voix, notamment toulousaines.
Sa diffusion est essentielle. Plus on en parle, plus on aide Boualem Sansal. Ce livre doit circuler.
Radio 2 L’Hers : Merci beaucoup pour cet échange passionnant. On aurait pu continuer encore longtemps, notamment sur la manière dont vous avez vous-même été ostracisé après une tribune sur l’islamisme en 2006…
Robert Redeker : Oui, ça me rappelle des souvenirs. Merci à vous.
Ecoutez notre interview radio de Robert Redeker
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